Les expatriés : Interview avec Ali Ahamada, la renaissance au milieu des fjords

Ali Ahamada évolue à Brann Bergen, en première division norvégienne.
Ali Ahamada évolue à Brann Bergen, en première division norvégienne. / Tal Gilad/90min
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Décrié voire moqué lors de ses années en Ligue 1, Ali Ahamada a dû s'exiler pour fuir un pays où les critiques ont laissé place à l'acharnement. Après un passage compliqué en Turquie et plus d'une année sans club, le gardien de 28 ans a retrouvé le plaisir de la compétition en Norvège. L'ancien portier de Toulouse est revenu, en exclusivité pour 90min, sur ce long chemin de croix.


22 septembre 2012. On joue les tous derniers instants de la sixième journée de Ligue 1 entre Toulouse et le Stade Rennais. Les Bretons mènent 2-1 alors que les Violets ont un ultime coup-franc à jouer. Monté exceptionnellement, Ali Ahamada sauve son équipe d'un coup de casque ravageur.

""Le but à Rennes. C’était pour moi l’apothéose.""

Ali Ahamada

L'apogée de la carrière du natif de Martigues, avant une longue descente aux enfers...

"J’enchaînais les bonnes prestations, j’avais de très bons retours médiatiques et ce but est venu couronner tout ça. Mais forcément, après ce but, j’ai été davantage exposé et ça a été un fardeau, nous a confié avec la sincérité et l'humilité qui le caractérisent le portier de 28 ans. D’énormément encensé, on a commencé à être bien plus critique et regarder à la loupe la moindre erreur. C’est à partir de là qu’on a commencé à me descendre injustement. Mentalement, ce n’est pas facile."

"On s’est acharné sur mon cas"

Source de moqueries, notamment dans la célèbre chronique de Julien Cazarre sur J+1, le gardien du Téfécé est alors entré dans une spirale négative, où il lui était impossible de retrouver le niveau qui était le sien lors de ses débuts prometteurs :

"Les critiques ça fait partie du milieu professionnel. Les gens sont parfois très durs. J’accepte la critique mais parfois il faut faire preuve de justesse. Je trouve qu’on s’est acharné sur mon cas, estime-t-il. À tort, à raison ? Parfois c’était injustifié, mais c’est comme ça. Il arrive d’être pris pour cible."

Auteur de 134 matchs pour 159 buts encaissés et 47 clean-sheets, dans un club luttant le plus souvent pour le maintien, son bilan en Ligue 1 est cependant honorable et ne reflète absolument pas les critiques toujours plus incessantes subies jusqu'à son départ en 2016.

La seule option était alors l'exil.

La parenthèse turque puis le néant

Comme de nombreux joueurs du championnat de France en quête de rédemption, Ahamada signe en Turquie, chez le promu de Kayserispor en janvier 2016. Titulaire, il aide son équipe à se maintenir à l'issue de cette saison (2015-2016) et lors de l'exercice suivant.

Problème, à l'orée de la saison 2017-2018, le Roumain Marius Șumudică, tout juste nommé entraîneur, arrive avec "son" gardien Silviu Lung. Le Franco-Comorien devient alors persona non grata et n'apparaît plus dans le groupe.

Tentant de changer d'air, le club turc refuse de le laisser partir. Le début d'une longue traversée du désert.

""Je me suis retrouvé près d’un an et demi sans jouer. C’était très très difficile… ""

Ali Ahamada

En procès avec Kayserispor afin de rompre son contrat, l'ancien international Espoirs (11 sélections) s'entraîne alors seul :

"Pendant cette période, je suis retourné dans mon club formateur, dans ma ville à Martigues, afin de garder la condition. J’ai eu des séances spécifiques pour entretenir mon niveau, souligne-t-il. Ce n’est jamais simple de se retrouver sans club, surtout lorsqu’on est compétiteur. Il faut se tenir prêt au cas où une opportunité se présente."

Le come-back en Norvège

Au bout du tunnel, un club pour le moins exotique affiche son intérêt :

"Retrouver un bon projet était devenu impossible et il fallait repartir de plus bas pour aller de l’avant. En parallèle, j’étais toujours en procès avec mon club turc (Kayserispor). L’opportunité de Kongsvinger s’est par chance présentée, malgré des problèmes liés à la validation de ma licence."

Club de deuxième division norvégienne, Kongsvinger IL n'hésite pas à relancer l'international comorien. L'arrivée dans la ville de près de 17.000 habitants, située à 90km à l'Est d'Oslo, la capitale, est pour le moins "très dépaysante" :

"Je suis arrivé en mars à un moment où il neigeait et faisait très froid. Pour moi qui viens de Marseille, je n’ai jamais connu ça. À la limite on a du 10-15 degrés pendant l’hiver, là on était plus sur du -15, -20 degrés."

Pas de quoi traumatiser ce globe-trotter qui, au contraire, s'épanouit pleinement dans son nouveau pays d'accueil, où il a retrouvé la joie des terrains :

"Reprendre la compétition, ça a été un plaisir tout d’abord. S’entraîner toute la semaine sans pouvoir jouer et te jauger le week-end, il n’y a rien de plus frustrant. Car au final, on t’évalue à travers la compétition."

Auteur de 31 matchs en OBOS-Ligaen pour 11 clean-sheets, Ahamada surnage :

"Ma formation enrichissante au poste de gardien et mon expérience en Ligue 1 m’ont permis de revenir au haut niveau avec Kongsvinger. J’y ai toujours cru sans jamais baisser les bras."

""C’était une manière pour moi d’envoyer un message à mes détracteurs : ‘je suis encore là malgré toutes les épreuves’.""

Ali Ahamada

Des performances qui lui ouvrent les portes de l'élite du football norvégien.

Objectif Europa League avec Brann

Une seule saison aura suffi à Ali Ahamada pour retrouver un club de première division, avec des ambitions à la hauteur de son pedigree. Direction Bergen, au milieu des fjords, pour une nouvelle aventure :

"Brann me suivait déjà depuis un moment. En janvier ils ont essayé de me faire signer mais on n’était pas tombé d’accord. Finalement ils sont revenus à la charge en mai dernier", nous informe-t-il.

Titulaire en début de saison, avant d'être écarté des terrains pour blessure lors des cinq dernières journées, l'ancien Toulousain rêve de goûter aux joutes européennes :

"Le club était en difficulté à se reconstruire. L’objectif est d’être dans le top 3 et jouer l’Europe. C’est pour cela que j’ai signé : remettre collectivement et via mes performances le club sur les bons rails. On a bien commencé mais là on a une petite baisse de régime. J’espère que l’on va se reprendre."

Huitième d'Eliteserien, le SK Brann compte déjà dix points de retard sur le troisième place. Pas de quoi effrayer Ahamada, qui espère profiter du niveau et de la nouvelle médiatisation du championnat norvégien pour se mettre en lumière :

"Le niveau n’est vraiment pas mauvais. Ça joue plutôt bien au ballon avec des joueurs qui sont très intéressants. Ce n’est pas un hasard si le championnat devient de plus en plus attractif. De nombreux jeunes se sont révélés (Odegaard, Haaland, Berge…) et ont mis un coup de projecteur sur la ligue."

"Retrouver un challenge plus excitant"

Épanoui au milieu des fjords, le gardien n'exclut cependant pas de voguer rapidement vers un nouvel horizon :

"C’est vraiment un pays très sécurisé avec un système qui fonctionne très bien. La qualité de vie est vraiment très élevée. C’est calme, il n’y a pas de problème. Les gens sont très disciplinés, admet-il. Pour l’instant ça se passe bien, je m’y plais. Mais à l’avenir si je fais mes preuves, j’aimerais retrouver un challenge plus excitant."

Un éventuel retour dans l'Hexagone serait, par ailleurs, envisageable : "Pourquoi pas en France si une opportunité se présente mais je suis ouvert à d’autres championnats étrangers."

Avec toujours le même objectif en tête :

""L’idée c’est de revenir dans un championnat majeur pour profiter du haut niveau et continuer à prendre du plaisir." "

Ali Ahamada

Une philosophie aussi épicurienne qu'ambitieuse, illustrant à la perfection le personnage Ali Ahamada.