Euro 2022 : Pourquoi le foot féminin doit se réveiller en France peu importe le parcours des Bleues

Un match de D1 Arkema entre Lyon et Paris.
Un match de D1 Arkema entre Lyon et Paris. / OLIVIER CHASSIGNOLE/GettyImages
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Joueuses, techniciennes, présidents de clubs, journalistes, suiveurs, depuis plusieurs mois, le foot féminin français et ses acteurs s'inquiètent pour son avenir. Même si son fanion, l'équipe de France s'avance comme l'une des favorites de l'Euro 2022, le football hexagonal s'enlise dans l'immobilisme.

La France est à deux doigts de devenir ce lapin déçu et honteux, dépassé par la lente et valeureuse tortue. Si rien ne sert de courir et qu'il faut partir à point comme le soumet la Fable de La Fontaine, le foot féminin français s'endort sur ses lauriers depuis quelques années, et ce malgré les alertes successives de ses principaux acteurs.

"On est en train de prendre du retard, car d'autres ont accéléré plus vite. En mettant des moyens économiques et financiers de manière prioritaire sur le football féminin, il est indéniable que des nations avancent plus vite."

Jean-Michel Aulas, président de l'OL

De fait, l'avance qu'il détenait sur ses voisins du Vieux Continent s'est considérablement réduite. Tant est si bien que le paysage du foot européen et les rapports de force jusque-là plutôt très favorables, grâce notamment aux locomotives qu'ont été l'OL et le PSG, pourraient rapidement basculer en sa défaveur après cet Euro 2022.

Un nombre de licenciées et deux locomotives comme arbre qui cachent la fôret

Faisons rapidement le tour des points positifs, dont se gargarisait d'ailleurs le président de la FFF Noël Le Graet en février dernier lorsque l'instance dirigeante a annoncé sa candidature pour organiser le championnat d'Europe féminin en 2025.

Il y a d'abord la sensibilisation des plus jeunes. Même si l'on partait de très très loin, pour ne pas dire de rien, les sections féminines se développent dans les collèges et les lycées et 8 pôles espoirs (Blagnac, Clairefontaine, Liévin, Lyon, Mérignac, Rennes, Strasbourg et Tours) quadrillent l'Hexagone.

Avec près de 197 700 licenciées en 2022, la France reste dans le peloton de tête sur le sujet avec l'Allemagne et l'Angleterre (210 000 en 2021 et 121 000 en 2019). "A l’issue du mondial en France la Fédé voulait 200 000 licenciées, elle les a obtenu et on a dit c'est super et plus rien n'a bougé. On doit repartir de l’avant", tempère néanmoins le journaliste Léo Corcos.

Un championnat qui perd en attractivité

Structurellement, médiatiquement, économiquement, la France prend du retard dans les piliers permettant de pérenniser l'essort de son football et de l'aider à grandir. "Là où il faut qu’on se réveille, c’est surtout au niveau de la Fédération. Il faut améliorer les infrastructures, les stades, les conditions de retransmission à la TV. On a besoin aujourd’hui d’avoir une D1 forte. Il y a une urgence, je tire la sonnette d’alarme", confirmait sur TF1, l'entraîneuse de l'équipe féminine des Gones, Sonia Bompastor

"Après le Mondial 2015, beaucoup de pays se sont réveillés : l'Espagne, l'Angleterre, l'Italie qui vient de professionnaliser son championnat. Nous, on n'avance pas. "

Dounia Mesli, journaliste

Contrairement à ses voisines qui ont professionnalisé leurs championnats ou sont en passe de le faire, la D1 Arkema offre encore des contrastes saisissants entre des joueuses pro, semi-pro ou amateures. "Les joueuses 100% pro représentent un minorité, c'est indécent, commente Alexandre en suiveur avisé. On en est même à un point où Ada Hegerberg, une Norvégienne, est obligée de pousser des coups de gueule sur les réseaux sociaux pour tenter de faire réagir les instances."

"On a même pas une vrai convention collective comme l'Espagne, les USA ou l'Angleterre. On a été à deux doigts de réduire la D1 à 10 clubs, on vient à peine d'enteriner une D3", ajoute Léo Corcos, appuyant le flou qui entoure encore aujourd'hui la structuration même et les ambitions des instances pour son football au féminin.

La fuite des talents

Evidemment, cette immobilisme ne nourrit pas l'attractivité du championnat français tant pour les joueuses, les spectateurs, que les diffuseurs. Sur ce dernier pont, là où Canal+ verse 1,2M par saison pour diffuser la D1 Arkema, le championnat anglais a décroché un deal de 8,1M pour trois saisons. En Espagne, Mediapro lâche près de 3M par saison.

Et là où la D1 Arkema peine encore à remplir ses stades, les championnats anglais et espagnols ont explosé des records d'affluence cette saison. Le Camp Nou a notamment accueilli 91 648 spectateurs pour la demi-finale aller de Ligue des Championnes entre le Barça et Wolfsbourg en avril.

FC Barcelona v VfL Wolfsburg - UEFA Women's Champions League
La demi-finale de Ligue des Championnes entre le FC Barcelona et Wolfsburg. / Anadolu Agency/GettyImages

En offrant de meilleures conditions de travail et une plus grande compétitivité, les clubs de ces championnats attirent logiquement de plus en plus les stars du football féminin. Ces dernières ne filent plus automatiquement à Lyon. A titre d'exemple, en 2021, Alex Morgan est allée faire un tour du côté de Tottenham et Rose Lavelle à Manchester City. Même nos Tricolores commencent à s'exporter comme Sandie Toletti à Levante, Eve Perisset à Chelsea ou encore Pauline Peyraud-Magnin à la Juventus.

La nécessité d'une défaite pour réagir ?

Tant que le championnat français ne passera pas le premier cap de ce cercle vertueux, à savoir la professionnalisation, le foot féminin français semble condamné à ronronner et à perdre du terrain. La frustration est si grande de la part des différents acteurs que certains espéreraient presque une élimination rapide de l'équipe de France : histoire qu'elle ne serve pas d'arbre qui cache la forêt, comme les réussites lyonnaises et parisiennes avant elle.

"Un échec à l'Euro viendra peut-être mettre en lumière la vraie réalité du football chez les filles. Bien sûr que certaines en vivent pendant leur carrière mais elles ne gagnent pas assez, sauf exception, pour mettre de côté. Elles ont donc un double projet pendant leur carrière et certaines un travail en plus du foot."

Frédérique, spectatrice et joueuse

Si une contre-performance à l'Euro pourrait servir d'électrochoc, la FFF pourrait aussi se dire "ok, maintenant que ça gagne on investit plus", complète Dounia Mesli. Au fond, personne ne veut voir les Bleues s'écrouler avant de soulever le trophée à Wembley. Mais quoiqu'il advienne, tout le monde espère que, peu importe le résultat, le foot féminin français reprendra enfin sa marche en avant.