Euro 2022 : Pourquoi l'UEFA a eu tout faux en matière d'organisation

Le New York Stadium a été l'hôte de plusieurs matchs de la compétition
Le New York Stadium a été l'hôte de plusieurs matchs de la compétition / Naomi Baker/GettyImages
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Fête du football féminin européen, l'Euro 2022 met en lumière les progrès considérables accomplis depuis plusieurs années en matière de couverture médiatique. Pour autant, l'UEFA et les organisateurs ont failli à leur mission de promouvoir cet événement majeur, fondateur pour le football féminin.

Rotherham - Le coup de sifflet final est donné, l'équipe de France vient de valider officiellement sa place en demi-finale de l'Euro 2022. Une première dans un championnat d'Europe pour les Bleues, à l'heure où le football féminin semble se faire progressivement sa place.

Mais, si sur le terrain les progrès sont significatifs et notables, une chose demeure : le manque de reconnaissance et d'exposition accordées aux sportives. La preuve la plus notable se situe dans le choix des stades hôtes. L'équipe de France en a fait l'expérience en passant l'entièreté de son tournoi du côté de Rotherham, petite ville du Nord de l'Angleterre, jonchée entre Leeds, Manchester et Sheffield.

Jodie, supportrice de Rotherham désormais basée à Londres, est la première à remettre en cause le choix des différents stades hôtes. Native de la ville du South Yorkshire, elle constate avec désolement l'évolution de la ville.

"Rotherham n'est plus ce qu'elle était. C'est une ville qui meurt à petit feu. Le Covid a accéléré cette tendance. Avant, il y avait une vraie animation dans la ville. Ça tournait avec les industries de sidérurgie notamment. Aujourd'hui, il n'y a plus de commerces, ils ferment les uns après les autres. (Elle montre le centre-ville) Regardez : fermé, fermé, fermé. Même ce pub a mis la clé sous la porte ? Je ne le savais même pas. C'est une ville où la pauvreté règne. C'est désolant."

Une ville dortoir

Une pauvreté attestée par le nombre croissant de "charity shops", ces magasins de charité, qui vendent à bas prix des produits de deuxième main, qui lèvent des fonds pour des oeuvres caritatives, ou les nombreux prêteurs sur gage. Pour preuve, le salaire annuel médian à Rotherham en 2021 était de 29.745£ pour les hommes (près de 35 000€) et 22.651£ pour les femmes (un peu plus de 26 500€), contre 31.289£ et 25.627£ pour le South Yorshire. Bien loin des 33.777£ (près de 40 000€) et 28.314£ (près de 33 500€) qui constituent la moyenne nationale en Angleterre. Un écart abyssal, à l'heure où l'inflation se fait plus ressentir que jamais au Royaume-Uni.

Et, si Rotherham ressemble désormais davantage à une ville dortoir, où les locaux ont tendance à la quitter plutôt qu'à la rejoindre, Jodie, elle, revient chaque semaine dans sa ville natale. Elle fait partie de ces "die hard fans", qui se rendent au stade à chaque match de leur équipe. Cette saison, elle retrouvera le Championship, la deuxième division anglaise, grâce à la promotion des Millers en D2. Un joli stade de plus de 12 000 places, refait à neuf il y a une dizaine d'années. Pas sûr toutefois que les supporters qui s'y sont déplacés lors de l'Euro 2022 renouvellent, eux, l'expérience.

Une exposition de façade

Car la question du choix des stades de cet Euro se pose réellement. L'Angleterre regorge de stades de belle capacité, de véritable berceaux du football. Mais le football féminin doit se limiter à des stades à la capacité limitée, symbolisés par le New York Stadium de Rotherham ou encore le Manchester City Academy Stadium et le Leigh Sports Village, 24 700 places à eux trois.

Imagine-t-on les qualifications du 100 mètres féminin se dérouler dans un stade annexe aux Jeux Olympiques ? Faut-il constamment jouer le jeu de la ségrégation liée au genre ? Y a-t-il réellement, de la part de l'UEFA, l'envie d'offrir au football féminin la même exposition que le football masculin ? L'absence de communication autour de l'événement sur les mois qui ont précédé le tournoi en dit long et semble répondre presque naturellement à la question.

Manchester parmi les mauvais élèves

Eugénie Le Sommer s'est récemment exprimée sur le sujet au micro de Canal+, où la joueuse de l'Olympique Lyonnais est consultante. Si elle avouait préférer les stades de plus faible capacité mais pleins, elle remettait en cause certains choix de stades, trop restrictifs par rapport à la demande de billets pour l'événement.

Sur les dix stades sélectionnés pour accueillir l'Euro 2022, seuls deux disposent de plus de 32 000 sièges : Old Trafford (Manchester) et Wembley (Grand Londres). Ils accueilleront... deux matchs sur les 31 de la compétition. A titre de comparaison, la Coupe du monde de rugby 2015, l'un des plus récents grands événements sportifs organisés en Angleterre, avait vu douze stades anglais accueillir des matchs, pour seulement deux enceintes dotées de moins de 30 000 sièges.

Manchester City avait alors offert les clés de l'Etihad Stadium aux organisateurs là où l'Euro 2022 n'a eu droit qu'au stade de l'academy. Une disparité pointée du doigt par l'entreprise de paris sportifs Paddy Power, qui s'est offert une campagne de publicité efficace, pointant aux organisateurs l'Etihad stadium en plein match entre la Belgique et l'Islande (1-1). Au cas où la présence d'un stade de belle capacité leur avait échappé.

Les Bleues de Rotherham à Wembley ?

De son côté, l'équipe de France n'a pas encore eu la joie de découvrir l'Angleterre le temps d'une grande compétition. Seule nation à n'avoir eu droit qu'à une seule ville et un seul stade lors de ses quatre premiers matchs, elle ne va découvrir qu'à l'occasion des demi-finales un deuxième stade lors de cet Euro.

Cantonnée à Rotherham, il lui faudra cependant attendre la finale pour découvrir Londres et Wembley. Imaginez le peu : si les Bleues viennent à bout de l'Allemagne à Milton Keynes mercredi, elles passeront potentiellement d'un New York Stadium de Rotherham (12 000 places) à Wembley, 90 000 places.

Entre temps, elles doubleront la capacité d'accueil du stade dans lequel elles joueront, passant à 30 000 places pour la demi.

Une bizarrerie de plus dans un Euro où les Bleues seront constamment passées au second plan, en dépit de leur troisième place au classement FIFA.

Si sur les terrains le spectacle a été assuré et la fête fût totale, l'UEFA et l'ensemble des organisateurs ont un long et fastidieux travail d'introspection à réaliser à l'issue de la compétition. Ils sont les premiers à avoir en mains les clés du développement du football féminin.