Le jour où... la sélection anglaise a dû réaliser le salut nazi
Par Kristen Collie
Vendredi, le monde célébrait les 75 ans de l'épilogue de la Seconde Guerre mondiale, matérialisée par la capitulation de l'Allemagne Nazi le 8 mai 1945. Cette pierre angulaire de l'Histoire contemporaine marque la fin de son chapitre le plus macabre, où le football était évidemment loin des préoccupations. Pourtant, à l'aube de ce conflit planétaire, un 14 mai 1938, la sélection anglaise réalise le "salut de la honte", lors d'un match amical contre la Mannschaft, fracassant les frontières du sport et ses traditionnelles valeurs de neutralité.
À l'orée du conflit le plus meurtrier de l'Histoire, l'Allemagne d'Adolf Hitler, nommé chancelier le 30 janvier 1933, puis Reich Führer dès l'année suivante, fait du sport un élément central de sa propagande. Les pharamineux Jeux Olympiques de 1936 organisés à Berlin, en est le principal symbole.
Lors de ses olympiades, marquées par les exploits de Jesse Owens, les athlètes étaient conviés à effectuer le salut nazi, afin de signifier leur respect à la nation hôte. Sans surprise, de nombreux sportifs se sont abstenus, en opposition à l'idéologie du régime.
Deux ans plus tard, les joueurs de la sélection nationale anglaise ont cependant tenu à honorer ce geste, lors d'un match amical organisé dans un climat de tensions extrême.
Le football, instrument de propagande
14 mai 1938. Afin d'apaiser les tensions grandissantes entre les deux nations, et préparer le Mondial organisé le mois suivant en France, les deux sélections jugent pertinent de s'affronter au cours d'une rencontre amicale.
L'affiche est belle : la toute puissante Allemagne et sa "race aryenne" supposément supérieure, face au pays qui a donné ses lettres de noblesse au football. Il n'est donc pas étonnant de voir près de 110.000 personnes garnir les tribunes du monumental Olympiastadion.
Par ailleurs, les années 30 sont les prémices de la mondialisation du football. La première Coupe du Monde en 1930, organisée et remportée par l'Uruguay, fut une réussite totale, convaincant les principales sélections du Vieux Continent à participer à ce nouveau rendez-vous sportif international. Seule l'Angleterre, nation mère du football, continue de snober la compétition.
Le "salut de la honte"
En marge de ce match, le ton est donné : le temps est à l'apaisement. En ce sens, le Ministère britannique des affaires étrangères demandent expressément aux joueurs d'effectuer le controversé salut du régime nazi. Même si le Reich Führer n'est pas présent en tribune, ses bras droits Hermann Goering, Rudolf Hess et Joseph Goebbels sont venus assister à la rencontre. Le dilemme est donc de taille, car si les Anglais ne respectent pas les consignes, l'incident diplomatique est inévitable.
Problème, les joueurs refusent dans un premier temps cette requête, comme le révélera plus tard Stanley Matthews, le "sorcier du dribble" de Stoke City :
""Tous les joueurs anglais étaient furieux et totalement opposés à cela, moi y compris. Eddie (Hapgood, NDLR), a fait un doigt d'honneur aux arbitres pour leur montrer ce qu'il en faisait du salut nazi.""
- Stanley Matthews
Finalement, l'ambassadeur britannique en Allemagne, Sir Neville Henderson, finit par convaincre les joueurs. Le secrétaire de la FA et futur président de la FIFA, Stanley Rous, joue les intermédiaires afin de les sensibiliser sur la portée de leur acte.
C'est donc avec pragmatisme et discipline que les Three Lions se résignent à réaliser ce geste. Au moment où l'hymne allemand retentit, les 22 acteurs brandissent le bras, au cours d'une scène devenue mythique outre-Manche. Les joueurs de la Mannschaft ponctuent la séquence par un "Heil Hitler" à la résonance lugubre.
Le match peut commencer.
Une victoire 6-3 des Three Lions
La rencontre aurait été un duel aux sommets quelques décennies plus tard. Mais dans les années 30, la sélection anglaise n'a que peu de rivaux. L'Allemagne, quant à elle, est loin de son apogée footballistique et sera éliminée dès le premier tour face à la Suisse lors du Mondial 1938, après une troisième place, quatre ans plus tôt en Italie.
La physionomie de la rencontre ne laisse peu de place aux doutes. Après l'ouverture du score de Cliff Bastin (16'), légendaire joueur d'Arsenal, la Mannschaft réplique à la 20ème. La partie est engagée et plaisante, et les Anglais affichent leur supériorité. 3-1 à la demi-heure de jeu. Le moment pour le virevoltant Stanley Matthews, l'un des meilleurs joueurs du monde à l'époque, de réaliser sa spéciale "crochet intérieur- crochet extérieur", semblable au flip-flap,, pour se défaire de son vis-vis et donner une avance de trois buts aux Three Lions (4-1).
La sélection britannique s'impose finalement 6-3, assumant leur statut. Rien d'anormal selon Ulrich Linder, auteur du livre "Les attaquants d'Hitler", abordant le lien entre fascisme et football au sein du régime nazi :
""Perdre contre l'Angleterre à l'époque n'avait rien d'inhabituel, car tout le monde perdait contre eux à cette période. Pour Hitler, l'effet de propagande de ce jeu était plus important que tout autre chose.""
- Ulrich Linder, "Strikers of Hitler"
D'un point de vue diplomatique, cette rencontre est une réussite totale et a permis de renouer les liens entre les deux nations. Le 30 septembre 1938, le Premier Ministre du Royaume, Neville Chamberlain, signe les accords de Munich, afin de valider l'annexion de la région des Sudètes par Adolf Hitler, toujours dans cette optique de maintenir la paix. L'invasion de la Pologne, un an plus tard, sonnera le glas de ces accords.
Dès lors, de nombreux joueurs, à l'image d'Eddie Hapgood, capitane lors de ce match, se retrouvent sur un nouveau front. Celui de la Seconde Guerre mondiale.