Autopsie : Comment le football français féminin s'est fait rattraper par ses concurrents européens

Le PSG a été sorti par le VfL Wolfsburg dans cette Ligue des champions.
Le PSG a été sorti par le VfL Wolfsburg dans cette Ligue des champions. / ANP/GettyImages
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C'est un terrible échec pour les clubs tricolores en Ligue des champions. Pour la première fois depuis 2014, il n'y aura pas la moindre écurie française dans le dernier carré de la compétition européenne. Une désillusion qui était presque à prévoir tant le football féminin en France n'évolue pas de la même manière que ses concurrents. Mais alors, comment expliquer un tel échec ?


Jeudi dernier, les clubs tricolores ont connu un véritable cauchemar en Europe. Pourtant considérés comme deux des grands favoris de la Ligue des champions féminine, le Paris Saint-Germain et l'Olympique Lyonnais ont pris la porte dès les quarts de finale. C'est la première fois depuis 2014 qu'aucune écurie française ne disputera le dernier carré de la compétition européenne.

Oui, on vous l'accorde, ces doubles confrontations sont passées tout près de sourire aux deux cadors de D1 Arkema. Pas aidé par l'arbitrage, le PSG aurait pu sortir le VfL Wolfsburg, alors que l'OL tenait sa qualification dans les toutes dernières secondes des prolongations, avant de sombrer lors de la séance de tirs au but contre Chelsea, là encore pas aidé par un arbitrage polémique. Pourtant, ce terrible échec était à prévoir tant le football féminin français peine à se développer, au contraire des autres grands championnats européens.

Un manque de compétitivité criant en D1 Arkema

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L'OL et le PSG sont les seuls à pouvoir lutter pour le sacre en D1 Arkema. / OLIVIER CHASSIGNOLE/GettyImages

Depuis de longues années déjà, l'OL sur-domine le football féminin en France. Il faut dire que Jean-Michel Aulas l'a tout de suite pris très au sérieux et a toujours tout fait pour permettre à sa section féminine de se développer. Son équipe a tout de même empoché 15 des 16 derniers championnats de France. Il a cependant vu l'émergence du PSG, Sous l'impulsion de ses investisseurs qataris, le club de la capitale tricolore s'est mis à tenter de rivaliser avec le cador rhodanien.

Enchaînant les deuxièmes places, le PSG a su mettre fin à l'hégémonie de l'OL, en remportant la D1 Arkema en 2021. Et l'équipe actuellement entraînée par Gérard Prêcheur est encore à la lutte lors de cette édition, où elle ne compte qu'une longueur de retard sur la tête. Pourtant, ces deux cadors semblent beaucoup trop seuls dans ce championnat de France. Et ce manque de compétitivité peut se ressentir clairement sur les résultats tricolores en Europe.

En Angleterre, les cadors ont pris le pouvoir. Chelsea, Manchester City, Arsenal ou encore Manchester United ont investi pour s'offrir des équipes féminines très compétitives. C'est également le cas en Italie, qui ne cesse de progresser avec la Juventus, l'AS Rome ou encore l'AC Milan qui jouent les premiers rôles. Certes, le FC Barcelone domine largement le football espagnol. Le Real Madrid et l'Atlético de Madrid cherchent cependant à refaire leur retard depuis quelques temps.

Et c'est aussi le cas du Bayern Munich ou d'Hoffenheim en Allemagne, qui se rapprochent de plus en plus du VfL Wolfsburg. En France, hormis les deux cadors, les gros morceaux du football français que sont l'Olympique de Marseille, les Girondins de Bordeaux ou encore l'AS Saint-Étienne, le RC Lens ou le LOSC ne prennent clairement pas au sérieux le football féminin. En d'autres termes, si leur équipe première est en D1 Arkema, tant mieux ! Sinon, tant pis... En témoigne l'intérêt décroissant des Girondins pour leur section féminine, se rapprochant du podium il y a deux ans, désormais proche de lutter pour son maintien.

Une prise de conscience à avoir très vite

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Qui pour prendre exemple sur Jean-Michel Aulas ? / JEFF PACHOUD/GettyImages

Imaginons un seul instant voir l'OM ou les Girondins de Bordeaux se pencher très sérieusement sur la question. On vous l'accorde, ils ne combleront pas leur retard sur le PSG et l'OL en une seule saison. Ils auraient cependant de quoi emprunter le même chemin que le PSG et progressant d'année en année pour rivaliser avec les meilleurs. C'est notamment le cas en Angleterre, où Aston Villa s'est doté d'une équipe et d'un staff de plus en plus performant, recrutant intelligemment pour se hisser à la 5ème place du championnat, trois ans seulement après sa montée dans l'élite.

Sans une réelle prise de conscience, que peut-il se passer ? Tout simplement, les meilleures joueuses présentes à l'OL ou au PSG pourraient très vite avoir des envies d'ailleurs. Elles restent toutes des compétitrices qui ont l'intention de se frotter au très haut du gratin. C'est d'ailleurs le cas de certaines joueuses, comme Kadeisha Buchanan, passée de l'OL à Chelsea, ou d'Estelle Cascarino, partie du PSG pour Manchester United.

Quel est l'intérêt de jouer dans un championnat où la plupart des matchs se terminent sur un score fleuve, quand vous avez des divisions très ouvertes et avec des rencontres très serrées ?

Surtout quand on sait que les cadors des autres continents tendent à se développer, alors que ce n'est pas forcément le cas pour les grosses écuries tricolores. Sans oublier que cela peut pousser les très bonnes joueuses de D1 Arkema, mais qui n'ont pas forcément la possibilité de jouer à l'OL ou au PSG, à s'en aller très vite, comme Aïssatou Tounkara.

Alice Benoît, désormais joueuse de Parme avait pu nous le confier lors d'un entretien réalisé en 2022 : "le championnat (italien) est plus ouvert. En France, si tu veux étoffer ton palmarès, il faut aller à Lyon ou à Paris. Ici, quand on a reçu la Juventus, les filles dans le vestiaire se préparaient vraiment pour gagner. J'ai beau être compétitrice, ça fait longtemps que je n'ai pas ressenti ça."

Un produit clairement mal vendu

Sam Kerr
La France doit prendre exemple sur la Women's Super League. / Alex Livesey/GettyImages

Pourtant, le football féminin en France avait tout pour prendre un nouvel envol lors de la Coupe du monde organisée en 2019. Le public avait répondu présent pour l'événement ! Les stades étaient remplis et les fans étaient venus supporter les Bleues jusqu'en quart de finale et leur défaite face aux USA (2-1). Tout semblait donc réuni pour attirer un maximum de monde pour les rencontres de D1 Arkema.

"La France a organisé la Coupe du monde, ok, c'était une réussite, les stades étaient plein, mais derrière qu'est-ce que ça a changé pour les joueuses ? On n'a pas eu un supporter de plus dans les stades, ça n'a rien changé en termes de conditions financières, en termes de conditions d'entraînement. Je me souviens à la Coupe du monde, ils faisaient des reportages sur l'OL, le PSG. J'avais des amis qui me disaient qu'on était bien dans le foot féminin en France. Mais ce n'est pas la réalité des autres clubs", nous confiait d'ailleurs Alice Benoît.

Malgré l'aide financière et surtout médiatique de Canal +, rien n'a jamais réellement changé depuis. Les stades de D1 Arkema sont peu remplis pour les affiches ne mettant pas en scène l'OL et le PSG et surtout ne sont pas toujours diffusées dans les meilleures dispositions. Comment mettre en avant son produit ? Kenza Dali, internationale tricolore et jouant pour Aston Villa, a la réponse et avait pu nous la donner lors d'une interview en novembre 2022 :

"La grosse différence aujourd'hui entre la France et l'Angleterre, c'est forcément une question de moyens. Quand vous voyez que Sky Sports ou BBC mettent énormément d'argent, ça aide les clubs à investir plus d'argent. Et forcément, l'argent entraîne l'argent. (...) Les Anglais savent vendre le produit. En Angleterre, quand vous regardez un match à la télé, la manière dont c'est filmé, avec la caméra qui bouge... Ce n'est pas une caméra fixe, avec une lumière très basse."

Quelles solutions pour relancer le football féminin en France ?

Herve Renard
L'arrivée de Hervé Renard à la tête des Bleues, une très bonne chose pour le football féminin ? / Soccrates Images/GettyImages

Désormais, c'est à la France de trouver la solution pour revenir dans le très haut du panier. Elle garde cependant de la marge quand on sait que l'OL a gagné six des sept dernières éditions de la Ligue des champions féminine. Il ne faut cependant pas laisser les autres championnats prendre trop d'avance.

D'autant que le développement de la Women's Super League en Angleterre avance à une vitesse folle, avec des cadors qui se donnent les moyens d'atteindre leurs objectifs et pourraient s'inspirer de la Premier League pour dominer l'Europe. Pour ce faire, la première étape reste d'abord de rendre le championnat professionnel.

Cela a notamment été annoncé en Italie en avril 2022. Un grand pas pour un championnat qui semble encore derrière la France. Alors, pourquoi les instances tricolores ne l'ont pas encore fait ? C'est un projet qui a cependant été mentionné ces derniers mois par Jean-Michel Aulas notamment et qui semble indispensable pour suivre le pas de ses concurrents.

Ensuite, difficile de ne pas penser à la diffusion. Kenza Dali l'a très bien expliqué. Il faut que le produit soit mis en valeur par les promoteurs. De ce fait, il faut oublier les matchs à peine éclairé ou encore les gouttes d'eau sur la caméra qui empêchent de suivre le match. Ce n'est tout de même pas compliqué de tout mettre en œuvre pour mettre le football féminin tricolore en valeur, à la même hauteur que le football masculin. Des horaires aménagés pour ne pas avoir de conflits de diffusion avec le football masculin, des diffusion en clair, des levers de rideaux de matchs masculins... Les solutions sont nombreuses et ambitieuses.

Et l'arrivée d'un nom comme Hervé Renard à la tête des Bleues ne peut que permettre au football tricolore de tendre vers une progression. Impressionnant comme sélectionneur, celui qui a été à la tête de l'Arabie Saoudite notamment risque d'amener un vent de fraîcheur dans le football féminin et surtout cela pourrait pousser certains clubs à le prendre plus au sérieux... Un entraîneur à succès dans le football masculin prêt à sauter le pas pour aider le football féminin français, cela doit donner des idées. De quoi mettre en place des moyens plus importants pour remettre les écuries tricolores sur le devant de la scène et développer un championnat qui ne demande qu'à l'être.

Les instances du football tricolore, vous savez désormais ce qu'il vous reste à faire pour (re)placer le football féminin tricolore sur le toit de l'Europe, en club comme en sélection !

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