Championnats disparus (1/5) : La Wartime League

Un soldat surveille d'éventuels raids aériens lors d'un match Charlton-Arsenal, en 1940.
Un soldat surveille d'éventuels raids aériens lors d'un match Charlton-Arsenal, en 1940. / Getty Images
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Quel est le point commun entre la Ligue 1 et la Wartime League ? Contrairement à la Bundesliga il y a un mois, à la Liga le week-end dernier ou encore la Premier League cette semaine, ces deux championnats ne reprendront pas. Grosse différence cependant : c'est à cause de décisions politiques pour la L1, alors que la Wartime League... n'existe tout simplement plus depuis 1946 !


"Le football, ce n'est pas une question de vie ou de mort. C'est bien plus important que cela." Cette phrase mythique, prononcée par Bill Shankly dans les années 70, prend toute sa résonance à l'aube de la Seconde Guerre mondiale.

Création : La guerre n'arrête pas le jeu

Le 8 septembre 1939, alors qu'Hitler a entamé sa marche sur l'Europe, le gouvernement britannique annonce l'arrêt du championnat national de football en Angleterre après trois journées... mais pas l'arrêt du football. Si les traditionnelles Première, Deuxième, Troisième et Quatrième Division disparaissent, une Wartime League est en effet mise en place.

Neville Chamberlain, Premier Ministre Britannique en 1939, annonce l'arrêt du championnat d'Angleterre
Neville Chamberlain, Premier Ministre Britannique en 1939, annonce l'arrêt du championnat d'Angleterre / A. J. O'Brien/Getty Images

Les clubs sont répartis en dix divisions, afin que chacun d'eux ne réalisent pas de déplacements supérieurs à 50 miles (environ 80 kilomètres). Aucun match ne peut se jouer le dimanche et l'affluence maximale est limitée à 8.000 spectateurs. Si les garnisons fleurissent dans tout le pays, le ballon rond ne peut pas s'arrêter de rouler pour autant.

Durant le conflit, le football est en effet perçu comme l'échappatoire ultime à la guerre, le moment de répit, l'instant de joie, tant pour la population que pour les soldats. Le gouvernement le sait et l'encourage. Après huit mois, la règle du "No Sunday Football Game" est donc abolie, afin qu'un maximum de monde puisse participer et assister à des rencontres. La limite de spectateurs est par ailleurs rehaussée à 15.000. Et les dix divisions sont fusionnées pour n'en laisser plus que deux : la North Regional et la South Regional.

Le public s'est toujours présenté en masse durant la WWII.
Le public s'est toujours présenté en masse durant la WWII. / Davies/Getty Images

En 1941, le Blitz, période durant laquelle l'Allemagne a bombardé la Grande-Bretagne, prend fin. La limite de spectateurs dans les stades disparaît, ce qui est vécu comme un retour à la liberté. Les clubs sont redistribués en trois League : la League North, la League South et la London League. Un fonctionnement qui tiendra jusqu'en 1945, même si la League South est renommée League West et que la London League devient la League South.

Avec la fin de la guerre, la Fédération anglaise reprend doucement ses marques et une ultime saison de Wartime League est ainsi disputée en 1945-1946, avec un retour à deux divisions League North et League South.

Match : Preston North End sacré champion... sur un sextuplé de McLaren !

Durant la Seconde Guerre mondiale, près de 800 footballeurs professionnels ont rejoint les rangs de l'armée. Toute l'équipe de Bolton s'est par exemple engagée, dès 1939, deux jours après un discours de leur capitaine Harry Goslin. Une histoire qui a inspiré le film Wartime Wanderers. Certains sont devenus instructeur sportif dans les bataillons. D'autres sont allés combattre en Europe. Ce fut le cas de Goslin, qui trouva la mort en 1944 au Nord de l'Italie.

Ceux restés en Grande-Bretagne ont pu continuer à jouer, mais pas forcément pour leur club. Placés dans des régiments à travers tout le pays, ils ont en effet porté, parfois, plusieurs maillots grâce à la règle du Guest player. Elle permettait à un club d'aligner des joueurs d'autres équipes s'ils étaient envoyés près de chez lui.

Bill Shankly, qui a rejoint la Royal Air Force dès le début de la guerre, a ainsi disputé plusieurs rencontres sous le maillot de Norwich City, mais aussi Arsenal, Luton Town et Liverpool. Aucune pour Preston North End cependant, club dont il est une légende. Il n'a ainsi pas eu la chance de connaître cet immense succès, en 1941.

Bill Shankly a porté les couleurs de Preston North End de 1933 à 1939, puis de 1946 à 1949.
Bill Shankly a porté les couleurs de Preston North End de 1933 à 1939, puis de 1946 à 1949. / Central Press/Getty Images

Preston était à la lutte pour le titre en North Regional et devait absolument battre Liverpool lors de la dernière journée afin de soulever le trophée. Un gamin de 19 ans, nommé Andrew McLaren, s'est alors révélé. Il a tout simplement claqué... un sextuplé et Preston a battu les Reds (6-1).

Joueur : Milburn, meilleur buteur de l'histoire de Newcastle ?

Le titre de Preston North End n'apparaît cependant pas dans le palmarès officiel du club. Pas plus que les six buts de McLaren. La FA ne comptabilise en effet pas ce qu'il s'est passé durant cette Wartime League dans ses statistiques officielles. Et cela fait débat.

À Newcastle par exemple, un débat subsiste sur le nom du meilleur buteur de l'histoire du club. Jackie Milburn a démarré sa carrière de joueur pro en 1943. Il a inscrit 38 buts en trois saisons de Wartime League, puis en a ajouté 200 lors des 397 rencontres toutes compétitions confondues qu'il a disputé, maillot des Magpies sur le dos, de 1946 à 1957.

Alan Shearer cumule lui 206 réalisations en 395 apparitions pour Newcastle United, entre 1996 et 2006. Et il est donc considéré comme le numéro 1 par son club. Mais les fans ne sont pas tous de cet avis et de longs débats ont eu lieu. Jusqu'à ce que la famille de Milburn mettent fin au débat :

""Comparer Alan et mon père, c'est comme essayer de savoir qui remporterait un combat entre Mohammed Ali et Mike Tyson... Une chose est sûre, c'est qu'ils auraient été très complémentaires sur le terrain. [...] Ma mère a versé quelques larmes sur le but, pas parce qu'il signifiait qu'Alan battait le record de mon père, mais juste parce que cela lui a fait remonter de fortes émotions. Mon père a remporté trois FA Cup dans les années 50, il n'aurait aucun problèmes à laisser ce record à Alan.""

Jack Milburn, fils de Jackie Milburn

La FA a-t-elle raison de ne pas tenir compte de cette période dans ses statistiques ? Ces matchs ont bien été joués, ces buts ont bien été marqués. Mais il est vrai que les joueurs ont grandement bougé, disputant parfois qu'un bout de rencontre avec une équipe avant de s'envoler à l'autre bout du pays. De nombreux forfaits ont également eu lieu, et des matchs parfois insensés avec des formations qui ne jouaient pas à onze contre onze, faute de joueurs disponibles...

Palmarès : Arsenal, Tottenham et Blackpool au sommet

Les titres remportés sont-ils ainsi légitimes ? Là encore, difficile à dire. Rares sont les années où toutes les rencontres d'une League se sont jouées. Les forfaits ont été nombreux. En 1941-1942, la League South est par exemple remportée par Leicester City, qui a joué 17 matchs joués, devant notamment Norwich City, qui a disputé seulement huit rencontres.

Le Leicester City FC, champion en 1942.
Le Leicester City FC, champion en 1942. / R. Viner/Getty Images

Les classements finaux ne se sont pas toujours établis selon les mêmes critères par ailleurs. Dans la London League, toutes les équipes réussissent à jouer toutes les journées prévues chaque année par exemple et le tableau est ainsi monté selon les points gagnés. En League South, un ratio point/match rapporté à 18 rencontres a été adopté une saison. En 1941, ce fut tellement le chaos que c'est le ratio buts marqués/buts encaissés qui a été retenu pour établir le classement...

Quoiqu'il en soit, Blackpool a bien tiré son épingle du jeu avec trois titres de suite remportés dans la League North, en 1942, 1943 et 1944. Arsenal s'est également imposé en 1942 et 1943, dans la London League, même si les Gunners n'avaient plus leur stade à disposition. Ils ont également dominé la South League A en 1940. Leurs principaux rivaux, les Spurs, avaient eux remporté la South League C en 1940, puis se sont adjugés les titres de London League (devenue League South) en 1944 et 1945.

L'histoire du football anglais ne s'est en tout cas pas arrêtée à cause de la seconde Guerre Mondiale. Rien d'étonnant venant du pays qui a inventé ce sport et qui lui voue un culte sans commune mesure, encore aujourd'hui.